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"L'amour romantique" est politique

Oppressions, violences et amour romantique (I)

« L’amour romantique » est politique

Elisende Coladan

 

Cet article fait suite à l’article « L’Amour Romantique : de la fusion à la destruction », qui est un constat. C’est le premier d’une série qui traitera de l’amour romantique et des mécanismes oppressifs et violents qu’il comporte. Il est essentiel de les comprendre, d’en prendre conscience pour pouvoir les détecter et ne plus tomber sous l’emprise de relations maltraitantes.

 

Si le féminisme ne traite pas le thème de l’amour romantique, il passe à côté de la cause principale des violences contre les femmes et des féminicides. C’est à la fois aussi simple et aussi complexe que cela. Présenter l’amour comme quelque chose d’universel, naturel et beau, sans se questionner sur le fait que la grande majorité des violences contre les femmes se passent à l’intérieur des relations amoureuses[1] est un aveuglement dangereux. Il s’agit d’une réalité à envisager de toute urgence. Vraiment.

 

Tant que le but d’une vie, entendons par là, essentiellement une vie de femme, est d’avoir une relation amoureuse -ce qui la rendra spontanément heureuse, lui apportera affection et « protection »-, puis encore très souvent, lui permettra d’avoir des enfants (le plus grand "bonheur" d’une vie de femme) et ensuite, avoir une vie professionnelle et personnelle (amitiés, loisirs, voyages, ...) et que même les femmes les plus accomplies professionnellement ressentent un manque lorsqu’elles n’ont pas de relation amoureuse stable et/ou n’ont pas d’enfants, il y a un grave problème structurel dans notre société. Tant que le but d’une vie, entendons par là, essentiellement une vie d’homme, est de s’accomplir professionnellement et personnellement (amitiés, sport, loisirs, ...), accessoirement avec une femme qui est là pour l’accompagner, s’occuper de lui ( affectivement, sexuellement -et si possible de son intérieur-), le rendre heureux et lui donner des enfants, il y a un grave déséquilibre structurel dans notre société.

 

Il est indispensable et urgent, d’envisager l’amour romantique autrement, non plus uniquement comme un merveilleux sentiment, mais bien comme le souligne, depuis des années déjà, Coral Herrera Gomez[2], comme une construction socio-culturelle.

Quand Kate Millet dit, « le personnel est politique » [3], cette expression est directement applicable à mes propos : « l’amour romantique » est politique et il sert au fonctionnement de notre société patriarcale et capitaliste.

 

Aujourd’hui, le schéma typique à suivre est : pendant quelques années, liberté totale (ou presque) tant amoureuse que sexuelle, c’est-à-dire pendant le temps des études et/ou des premières années de travail. Des histoires qui durent plus ou moins longtemps, dans lesquelles il y a un plus ou moins grand investissement affectif. Processus à peu près égal chez les femmes et les hommes, sauf que chez les femmes, le stigmate de « la salope », dans un contexte hétérosexuel, continue à perdurer. Puis, comme par hasard, entre 25 et 35 ans, il y a LA RENCONTRE. Tout à coup, une personne devient plus importante que les autres, voire unique, la seule, la meilleure entre toutes. Va suivre à cela, un schéma socialement construit, nommé l’échelle mécanique des relations (relationship elevator[4]), qui fonctionne à peu près ainsi :

 

1 – Se rencontrer : échanger en ligne, séduire, flirter, s’embrasser, avoir une relation sexuelle

2 – Tomber amoureux.euses : ici se mettent en place des sortes de rituels, faits de SMS, d’appels téléphoniques, de relations sexuelles, de sorties, … Avec souvent un rythme qui crée une attente, comme s’appeler tous les matins à 8h et si pas d’appel, immédiatement il y a préoccupation ou se voir tous les vendredis soir et si annulation, il faut une explication valable, sinon il y a préoccupation.

3 – Nommer et faire connaitre : se dire « je t’aime », se présenter aux ami.e.s à la famille en tant que relation amoureuse, éventuellement arrêter d’autres relations affectives ou sexuelles. Souvent, il y a un réel isolement pendant un temps plus ou moins long, pendant lequel les personnes en relation voient moins leurs ami.e.s, voire pas du tout, coupent certains ponts, font uniquement - ou surtout -  des activités à 2.

4 – S’établir : adopter un vrai rythme de vie commun. Y compris si les personnes ne vivent pas sous le même toit. C’est le moment où commencent à se définir des projets communs : vacances, achats, installation dans un logement commun.

5 – S’installer : vivre ensemble, ouvrir un compte joint, se pacser ou se marier, acheter une voiture, partir régulièrement en vacances ensemble, etc.

6 – Conclure : avoir des enfants (souvent il y a une forte pression sociale pour le faire), acheter une maison.

7 – Être une relation établie avec enfants, maison, activités et loisirs communs, faire quasiment tout ensemble (sauf ce qui concerne le travail domestique et d’éducation des enfants, qui reste en grande partie généralement à la charge des femmes).

 

Dans ce processus, les premières étapes sont cruciales et se construisent selon un véritable protocole qui, comme pour l’échelle mécanique des relations, n’est pas défini, n’est écrit nulle part, mais que la majorité des personnes appliquent.

 

La question est : pourquoi ces structures relationnelles sont communes à autant de personnes et de plus en plus, non seulement dans les sociétés occidentales, mais sur l’ensemble de la planète ? La réponse est simple : par les romans, les publicités, les séries et les films. Il est très souvent question de « l’amour Disney » (l'attente du "prince charmant qui vient "sauver" la princesse) qui effectivement influence tout le monde, à partir d’un très jeune âge, mais cela va bien au-delà : nous vivons constamment entouré.e.s par ces schémas relationnels imposés. Et la question suivante est : qui se bénéficie de cette structure ? Notre société patriarcale et capitaliste.

 

Les prochains articles porteront sur quels sont les mécanismes basés sur des croyances (ou mythes) qui font que la grande majorité des personnes entre dans cette construction socio-culturelle, sans le savoir et dans laquelle certaines soit en subissent les violences, soit l’utilisent pour établir un système de violences, très souvent invisibilisées car faites au « nom de l’amour ».

 



[1] Victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part du conjoint : 219 000 femmes par an.  En 2017, 130 femmes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire intime "officiel" (conjoint, concubin, pacsé ou « ex ») ou non officiel (petits-amis, amants, relations épisodiques...).

https://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-chiffres-de-reference-sur-les.html

[3] En 1970, dans le livre La politique du mâle » de Kate Millet.

[4] La conceptualisation de ce système relationnel vient des Etats-Unis : https://offescalator.com/what-escalator/

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Commentaires: 2
  • #1

    Isabel Pereira (lundi, 22 juillet 2019 18:39)

    Pourquoi ne devrait-on pas s'aimer toute une vie et être heureux? L'amour romantique n'existe plus mais il a existé. C'était au temps de la compréhension, de l'éducation, du pardon, de la tendresse, de la bienveillance. Du temps de la construction de l'amour. On aimait d'abord à la folie et ensuite on s'aimait encore en s'appréciant davantage.On construisait un avenir à deux, avec ou sans enfants. On trimait ensemble, on vieillissait ensemble. Aujourd'hui le sexe a pris toute la place et l'amour est mort. Les gens en consomment et en abusent. Ils ne s'aiment pas, ils profitent du plaisir charnel du moment. Mais le cœur n'y est pas! Les gens sont devenus de plus en plus seuls même s'ils pensent le contraire. Leurs idylles ne durent qu'un court instant. Ils vont de désillusion en désillusion. De mariage en mariage. À la première difficulté, ils divorcent. Des familles recomposées. Beaucoup d'entre-elles dans des difficultés financières. On est pas libre parce que l'on est sexuellement. On acquiert la liberté par un esprit libre. Un esprit apte à s'imposer et revendiquer ses droits. Des femmes fortes et instruites, capables de se défendre en toutes circonstances.

  • #2

    Elisende (jeudi, 15 août 2019 16:48)

    Il me semble que l’on « ne doit pas s’aimer », mais s’aimer tout court et que ça dure ce que cela peut durer. Si c’est toute une vie et que cela se fait dans le respect et de manière égalitaire, cela est bien sûr souhaitable. Mais là, n’est pas la question. J’explique ici, comme d’autres autrices avant moi, en quoi consiste « l’amour romantique », qui est une construction sociale, un schéma auquel les personnes adhèrent, en le pensant « naturel ». Ce qui n’est pas le cas.
    Malheureusement, « l’amour romantique » existe toujours. A ne pas confondre avec le romantisme (du 18è siècle), comme cela arrive trop souvent lorsque j’en parle en France.
    Quant à votre vision -romantique- d’un « amour romantique » passé, où l’on s’aimait « pour toujours », actuellement disparu, désolée de vous décevoir, mais les violences contre les femmes, dans le cadre d’une union conjugale, ne datent pas d’aujourd’hui, ni même d’hier. Elles viennent de loin et se perpétuent. Il n’y pas si longtemps de cela, les femmes n’avaient pas d’autre choix qu’entre le mariage et le couvent. Ce n’est pas parce que le mariage arrangé ou de raison est devenu un mariage « d’amour », qu’l n’y a plus eu de domination ni de violences. Et « l’amour romantique » est le cadre idéal pour établir une relation d’emprise.
    Certes, de nos jours l’objectivation des femmes, notamment avec la pornographie et la facilité à trouver des partenaires sexuelles grâce aux sites de rencontre, est un réel souci, mais endurer des relations coûte que coûte, sous prétexte qu’il faut rester ensemble (pour qui, pour quoi ?), n’est pas une solution et c’était pourtant celle adoptée par les femmes dans le passé, notamment parce qu’elles ne pouvaient pas y échapper. C’est encore celle de bien des femmes aujourd’hui. Par ailleurs, l’idée de consommation « sexuelle » ou de partenaires va bien avec notre société patriarcale et capitaliste.
    Vous parlez de femmes fortes et instruites, capables de se défendre en toutes circonstances, c’est donc bien qu’il y a des raisons à avoir à se défendre et il s’agit de la société patriarcale. Dans cette société, dans laquelle nous vivons, « l’amour romantique » est bien présent. D’aucunes disent qu’il faudrait plutôt parler « d’amour patriarcal », pour que ce soit plus clair. Soit. Pour ma part, je continue à utiliser cette expression car elle a été utilisée précédemment, notamment par Andrea Dorwkin (dont je vous recommande la lecture). « L’amour romantique » et la quantité de mythes qui l’accompagnent, fait partie des mécanismes à connaître pour pouvoir, effectivement, ne pas tomber dans leur piège.