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La thérapie féministe

 

 

 

"Je vois un parallélisme entre ce qui arrive dans le mouvement féministe et ce que je fais en tant que thérapeute féministe. Les femmes, dans le mouvement, avaient l’habitude de se définir elles-mêmes en fonction de leurs relations avec les autres personnes … Ces femmes s’orientent aujourd’hui vers une définition d’elles-mêmes en tant qu’individus … en qualité de thérapeute féministe, je pense qu’une femme devrait être définie pour elle-même et par elle-même et non par la personne à laquelle elle est liée sexuellement. Si une femme se définit elle-même uniquement en termes de ses relations, elle vit comme une prisonnière, dans la crainte perpétuelle d’être abandonnée." MUNDY, Jean « Feminist thérapy with lesbians and other women », 1974.[1]

 

Origines de la thérapie féministe :

 

Karen Horney [2]est probablement la pionnière de la psychologie féministe. Contemporaine de Freud, elle lui a tenu front en contredisant sa thèse sur l’envie du pénis. Elle pensait que ce que les femmes enviaient, c’était le pouvoir et le privilège masculin, et non pas le pénis. Elle a défendu l’idée que les hommes se sentaient inadéquats et jaloux de la capacité des femmes à donner la vie.

 

La thérapie féministe, en tant que telle, apparaît dans les années 70, aux Etats-Unis, au Canada et en Europe. Un article[3] signé Janine Corbeil, publié au Québec, datant de 1979, présente cette émergence, tout en en expliquant le contexte social et académique. Selon l’autrice, la thérapie féministe surgit du mouvement féministe radical. Elle critique la thérapie traditionnelle considérée comme sexiste, où la figure du.de la thérapeute est présentée comme celle d’une experte et pour qui les problèmes sont d’ordre personnel et non pas social.

 

La thérapie féministe y est ainsi définie : « toute thérapie qui s'exerce en considérant les femmes à partir d'elles-mêmes, comme sujets et non plus comme objets ou compléments de l'homme. Les grilles d'analyse ne sont plus désormais soi-disant physiologiques mais sociales et politiques autant qu'intrapsychiques. Une théorie psychologique féministe serait une théorie où un ensemble de concepts psychosociaux partent de l'expérience vécue de la femme pour expliquer son développement, ses caractéristiques et ses difficultés. » [4]

 

Elle propose aux femmes de se réunir entre elles, en non-mixité. Certaines psychothérapeutes, à l'époque, décident même d'arrêter les thérapies individuelles, pour ne faire que du groupe. Pour avoir pratiqué les deux formules, aujourd’hui je pense qu’elles se complètent. Cependant, la thérapie individuelle me convient mieux[5] et c’est la raison pour laquelle je n’accompagne plus de groupes de parole.

 

Puis, pendant pratiquement 30 ans, l’idée et la pratique de la thérapie féministe disparaissent un peu partout. Il faut attendre la fin des années 90 et surtout le début des années 2010 pour qu’en Amérique Latine et en Espagne, des féministes se réunissent et parlent des violences vécues. En 2015, est né le mouvement "ni una menos", d'abord en Argentine, puis dans d'autres pays latinoaméricains et en Espagne, afin de dénoncer les violences contre les femmes et surtout, les féminicides. Des ateliers, des groupes de parole s’organisent, autour de thèmes comme les violences machistes, l’amour romantique, la sexualité, … En parallèle, des thérapeutes se regroupent, échangent des idées et chacune avec sa propre approche thérapeutique commence à s’intéresser aux aspects du féminisme qui peuvent aider les femmes en souffrance, lors d’un travail thérapeutique. De nos jours, il existe de nombreuses formations dans les pays hispaniques car il est évident qu'il ne suffit pas d'avoir une formation en psychologie, sophrologie ou sexothérapie et être féministe, pour pouvoir offrir un accompagnement en thérapie féministe. 

 

La thérapie féministe n'est pas un courant ou une école thérapeutique (comme la Gestalt par exemple) ni une pratique (comme la sophrologie) mais une approche thérapeutique qui s'exerce en considérant les femmes à partir d'elles-mêmes, comme sujet. Elle propose un regard qui n'est pas uniquement psychologique mais également social et politique.

 

Cette approche en thérapie permet de rendre visible l’invisible, en nommant des faits et des situations jusqu’ici ignorés ou présentés comme "naturels". Elle vise à permettre de comprendre les oppressions, les constructions patriarcales qui peuvent être à l’origine de bien des troubles psychiques comme la dépression, l’anxiété, les phobies, les addictions, les dépendances affectives, … Cette approche est fondamentale dans le cas de violences machistes (psychologiques, physiques et sexuelles) et du stress post-traumatique qui peut en résulter.

 

En France, l’idée de thérapie féministe, à ma connaissance, n’a jamais été réellement envisagée. Dans les années 70, Antoinette Foulque (fondatrice des Editions des Femmes), a créé le groupe « Psy et Po » (psychanalyse et politique) qui, comme le nom l’indique, est d’obédience psychanalytique. Nous sommes bien loin de ce que je viens de présenter au sujet de la thérapie féministe aux Etats-Unis ou au Québec.

 

Actuellement, en France, il n’existe pas encore de véritable courant de thérapie féministe, même si des articles ou des podcasts sur le sujet commencent à apparaître. Il n'y a pas de formations en thérapie féministe ou avec une approche féministe. C’est la raison pour laquelle je me suis formée et continue à me former en Espagne. D'après mon expérience, cela veut dire avoir fait un travail sur soi et travailler sur des situations à partir d'une approche féministe, ainsi qu'échanger avec ses collègues[6], notamment à partir de nos expériences personnelles et professionnelles. Me former en psychotrauma avec cette approche a été essentiel pour l'accompagnement des personnes ayant vécu des violences machistes[7]


[1] Citée dans STURDIVANT, Susan « Les femmes et la psychothérapie », 1980.

[2] https://nospensees.fr/karen-horney-biographie-de-la-femme-qui-a-affronte-freud/

[3] ] https://www.erudit.org/fr/revues/smq/1979-v4-n2-smq1222/030057ar/

[4] Sturdivant p. 70

[5] Je suis autiste et le groupe me fatigue beaucoup.

[6] Je fais partie d’un groupe d’intervision de psychologues féministes espagnoles qui m’apporte beaucoup et je suis en contact par les réseaux sociaux avec de nombreuses thérapeutes féministes hispanophones, espagnoles et latinoaméricaines.

[7] Les violences machistes désignent toutes les actions qui contribuent à porter atteinte de manière systématique à la dignité, à l’estime et à l’intégrité physique et mentale des femmes, des filles et des personnes ayant une identité de genre et/ou une sexualité différente de la norme. C’est une forme de violence structurelle et systémique, car elle est présente dans toutes les sociétés et dans tous les espaces sociaux, même si elle se produit à différents niveaux et à travers différents mécanismes selon les différentes questions de race, classe et appartenance à un groupe ethnique donné. Traduction https://diccionario.cear-euskadi.org/violencia-machista/