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L’Amour Romantique : de la fusion à la destruction

L’Amour Romantique : de la fusion la destruction

Elisende Coladan

 

A ce jour et depuis le début de de l’année, il y a déjà eu 48 féminicides en France. C’est-à-dire, qu’une femme est tuée, en France, un jour sur deux, par son compagnon ou ex-compagnon, au nom de l’amour.

Depuis des années, des dispositifs sont mis en place pour faire diminuer les accidents mortels sur la route, des campagnes et des mesures de prévention existent également pour faire décroître les accidents du travail. Dans les deux cas, des accompagnements psychologiques existent également. Quid des crimes conjugaux ?  Car voir une enfant, une amie mourir, parce que son compagnon l’a tuée, ne laisse pas indemne son entourage. Les questions, les remords et la culpabilité les gangrènent. En fait, se devrait être bien plus de personnes qui auraient à s’interroger, c’est la société tout entière. En premier, les policiers ou les gendarmes qui ne reçoivent pas les plaintes ou les archivent, le personnel soignant qui ne va pas plus loin que de donner des médicaments pour dépression et qui panse les blessures physiques, les juges qui maintiennent des situations effroyables, par des jugements où les femmes sont traitées d’hystériques ou de passives. Car, il ne s’agit pas d’une affaire privée, mais bien d’une construction sociale, qui invisibilise une dure réalité. Bercées depuis leur plus jeune âge, par des promesses d’amour, par des rêves de beau mariage, nombre de femmes se trouvent prises au piège et meurent.

Quelques médias, commencent tout juste à parler de cette situation, mais ne font que montrer, sans réelle explication et surtout, sans analyse profonde. Qu’est-ce qui fait que des hommes tuent et que des femmes soient tuées « par amour » ?

Il y a un peu plus d’un an, le 5 avril 2018, l’émission « Envoyé spécial » (France 2), a eu pour thème « Homicide conjugal, la mécanique du crime ». Une mère y explique qu’au lieu de sa robe de mariage il a fallu choisir son cercueil. L’image est très parlante : au lieu du rêve d’une noce heureuse c’est la mort qui est arrivée. La cause ? La volonté de la femme de terminer une relation qui ne lui convenait plus. Dans cette émission, Alexia Delbreuil, médecin légiste et psychiatre, , du CHU de Poitiers explique que dans 7 cas sur 10, la rupture est l’élément déclencheur. A ce moment-là, l’homme « fou de rage », prend une arme d’opportunité et décide de tuer. Selon elle, il n’y pas eu nécessairement de violences préalables, en tout cas, de violences physiques. Ce genre d’explication, certes pertinente, mettant l’accent essentiellement sur la cause immédiate du crime, laisse une immense zone d’ombre, sur les mécanismes qui ont fait que, progressivement, une situation insupportable à vivre pour la femme, a fait qu’elle a pris la décision de rompre. Continuer à expliquer les féminicides par la thèse de la folie, du coup de colère chez les hommes, est exactement le même mécanisme, que celui qui justifie le viol, par une pulsion sexuelle irrépressible.

Dans les deux cas, ces crimes ont lieu, parce qu’il y a eu toute une série de constructions sociales, de mécanismes structuraux qui les ont rendus possible. Ils ne sont pas une fatalité inéluctable. Ils sont bel et bien le résultat d’un processus méticuleusement mis en place, qui imprègne nos vies et colonise nos esprits.  

Dans ce même documentaire, des ateliers obligatoires pour les hommes auteurs de violences, sont présentés, où il est question d’égalité femme-homme, car pour eux, la femme doit rester « à sa place ». Je voudrais bien croire dans les bienfaits de cette approche mais je crains fort que cela ne suffise pas tant que tout autour les mêmes mécanismes, les mêmes leitmotivs, les mêmes imaginaires relationnels seront présents.

Des ateliers doivent exister pour les femmes, comme cela se fait depuis des années en Espagne[1]. Une véritable prévention est absolument nécessaire. Une société qui pense à essayer de « reformer » les agresseurs, sans protéger les victimes, sans mettre tout en œuvre pour les rendre conscientes des mécanismes mis en place pour qu’elles acceptent « par amour » de vivre la violence, pour qu’elles croient que « par amour » un homme va changer, pour qu’elles imaginent que « par amour » un homme saura les comprendre et les protéger, alors que c’est trop souvent le contraire qui se passe, c’est une société qui laisse les femmes en grand danger.

Il est important de bien comprendre comme les merveilleuses promesses de beau mariage et d’amour inconditionnel peuvent se transformer en cauchemar. Apprendre à reconnaître quelles sont les idées toutes faites, qui nous sont inculquées depuis notre plus jeune âge, sur la surpuissance de l’amour et l’invulnérabilité du couple. Il est indispensable de comprendre les mécanismes qui amènent à l’oppression et à la violence, que les femmes sachent comment ne pas tomber sous l’emprise d’hommes qui se révèlent « brusquement » incompréhensibles et violents jusqu’à devenir des meurtriers, pour certains, au moment d’une rupture. Savoir comment l’amour romantique, qui est une vision patriarcale de l’amour, omniprésent dans notre société, véhiculé par les romans, les films, les séries ou la publicité, est devenu le modèle idéal à suivre, construit sur un imaginaire collectif dans lequel la toute puissance de l’amour fait que tout est possible, que le couple est une unité auto-suffisante, qui peut s’isoler sans que personne ne s’en étonne et où la passion est le terreau pour construire une relation harmonieuse. Il est essentiel d’apprendre à aimer autrement, en prenant le temps de se connaître, en n’attendant pas une compréhension spontanée l’un.e de l’autre, juste « par amour », mais en dialoguant et en se respectant.

 



[1] .Ces ateliers ont commencé, il y a bientôt 10 ans, en ligne, sous le titre « Femmes qui ne souffrent plus par amour » (« Mujeres que ya no sufren por amor.»), imaginés et animés par Coral Herrera Gomez et existent toujours aujourd’hui, sous le nom de « Laboratorio del amor » (http://otrasformasdequererse.com/bienvenidas-al-laboratorio-del-amor/).

Suite à leur succès, ils se sont multipliés sous forme présentielle, dans toute l’Espagne et en Amérique Latine, animés par de nombreuses femmes, dont beaucoup, tout comme moi, ont suivi la formation initiale, il y a plusieurs années.

 

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