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Si ta thérapie consiste à passer sous silence, ce n'est pas une thérapie

Texte de Ianire estébanez, 2021[1]

Traduction Elisende Coladan

 

 

Je n’ai pas étudié la psychologie pour laisser libre cours au système.

 

J’ai étudié psycho parce que je voulais comprendre comment fonctionnaient les processus psychologiques chez les êtres humains. Comment nous avons des souvenirs, comment nous pensons, comment nous avons des émotions, comment nous les percevons, comment nous nous comportons.

 

Je me suis spécialisée en violence envers les femmes parce que je voulais savoir comment la violence se (re)produit et pourquoi elle fait autant de dégâts, y compris dans les sociétés considérées comme « modernes ». Et aussi parce que quelque chose me disait que la violence était dans bien plus d’aspects que cela n’en avait l’air.

 

J’ai continué à me former dans cette profession, en psychothérapie, parce que je voulais accompagner les personnes pour qu’elles se connaissent mieux et arriver à défaire les nœuds et résoudre les problèmes de leur histoire de vie. J’ai appris des techniques pour calmer et relaxer, d’autres qui aident à aller au fond de problèmes émotionnels, d’autres qui aident à nommer les dégâts et y poser des mots, d’autres qui amènent dans des lieux très douloureux, d’autres encore qui changent les comportements et attitudes.

 

Cependant, il semblerait bien que la « thérapie » actuelle qui est en vogue (ou qui s’achète), sert exclusivement à CALMER.

 

Tu bosses de 8h à 20h et tu as un stress impressionnant. On va respirer.

Que ta famille te traite comme une merde et ne te reconnais pas, ne te « vois » même pas. On va se répéter mentalement de jolies phrases.

Que tu es disponible h24 sur ton portable. On va de donner des outils sur Instagram (qui deviennent une pression si ça ne fonctionne pas pour toi).

 

Très chères gens. Ce n’est PAS de la thérapie. C’est passer sous silence. Personne, avec une formation en psychothérapie, ne doit silencer l’exploitation/la maltraitance/la violence.

 

Nous vivons une époque de grande exploitation dans le travail et de forte demande capitaliste, dans lesquelles se noie le mal-être émotionnel.

Voici la réalité.

 

Et il y a de plus en plus de personnes en thérapie avec des séquelles de cette exploitation.

Mais c’est également une époque où n’importe qui peut faire un cours en ligne pour apprendre une technique de relaxation/mindfulness/coaching (au choix) et se créer un profil sur les réseaux sociaux pour la vendre.

 

Et, tu sais, peut-être bien que cette technique t’aidera sur le moment, tandis que beaucoup d’autres termineront frustrées et finiront par penser qu’elles ne sont pas capables de s’en sortir (o encore, des milliers d’autres, n’essaieront même pas). Mais cette personne, qui se dit thérapeute, va rester avec la croyance que cette technique fonctionne parce que des personne lui disent qu’elles vont mieux sur le moment.

 

Le pire c’est que, toi qui avais un mal-être dû au système, tu as cherché un résultat rapide qui ne t’a pas été utile, tu en es frustrée et tu te dis que, alors, il n’y a rien à faire.

 

Mais personne ne t’a accompagnée pour te dire quel est le réel problème

Que ce n’est pas en toi.

Que ce n’est pas ta faute.

Que tu n’as pas à être forte et résister.

 

Tu t’échines dans un boulot où tu es exploitée. Tu es mal payée et tu n’arrives pas à payer ton loyer, tu fais bien plus d’heures que celles pour lesquelles tu as été embauchée, tu ne t’es jamais sentie reconnue. Mais tu rentres chez toi, tu regardes un webinaire de respiration fluide. Et tu supportes. Un jour de plus.

 

Tu redoubles d’efforts pour arriver à soutenir une thèse après avoir été maltraitée par le système universitaire, tes camarades et tes directrices, en passant des heures et des heures pour arriver à concrétiser ton rêve. Toutes les personnes qui ont présenté une thèse te disent que c’est normal, que toutes ont souffert. Et tu tiens le coup. Un jour de plus.

 

Tu continues dans cette relation qui non seulement te fait du mal, mais qui est en train d’effacer ta propre identité et qui tu es vraiment. Mais qui te dit « je t’aime » quand tu rentres chez toi et t’assure qu’il va faire une thérapie de couple avec toi. Et tu tiens le coup. Un jour de plus.

 

Non, toutes les psychologues nous ne travaillons pas en silençant. Nous ne travaillons pas en proposant des approches confortables. Nous ne travaillons pas en te faisant des éloges. 

 

Te calmer et te relaxer pour que tu supportes ton travail/ta thèse/ta relation qui est maltraitante n’est pas un objectif pour beaucoup d’entre nous et ce ne le sera jamais.

 

Il est possible que ce soit important de prendre soin de toi, d’aller à ton propre rythme, de ne pas t’exposer à quelque chose de difficile avant que tu ne sois prête. Mais le processus thérapeutique a pour objectif de nommer ce qui se passe. De nommer ce qui se passe à l’extérieur et qui n’est pas de ton fait, ni ta faute. Et, en plus, t’aide à le reconnaître pour que tu puisses le nommer et mettre des mots dessus pour le rendre réel.

 

Je suis désolée pour toutes celles qui pensaient qu’une technique (comme la relaxation) est l’objectif d’une thérapie. Une technique peut aider à ce qu’une information apparaisse, mais toutes les techniques ne s’adaptent pas à tous les processus ni à tout le monde. C’est pour cela que nous devons nous former pendant des années et que nous savons mettre les besoins de la personne au centre et non pas les techniques dans lesquelles nous nous sommes formées. L’objectif d’un processus thérapeutique est de trouver la racine du mal-être d’une personne et de le nommer.

 

Il se peut que certaines personnes soient surprises par le fait que je prenne la soutenance de thèse comme un exemple de violence et d’exploitation, mais je dois vous dire que ces dernières cinq années j’ai accompagné un très grand nombre de femmes qui vivaient ce processus, sans avoir à faire de la pub à ce sujet, dans aucune fac. Ce n’est pas un hasard qu’elles s’adressent à moi.

 

Je ne vais pas m’étendre plus sur le niveau d’exploitation dans le travail et de disponibilité (notamment avec le télétravail) qui est exigée dans n’importe quel poste de travail depuis la pandémie. C’est de la violence pure.

 

Malheureusement, cette exploitation est normalisée. Celle qui me connaissent depuis des années, savent que j’écrivais dans un blog qui s’appelait « mon copain me contrôle de manière normale » [2].  Mais il y a maintenant plusieurs mois que mon agenda est plein à craquer, et cela resonne en moi comme « le système t’exploite de manière normale ».

 

Ne normalisons pas l’exploitation.

 

C’est le premier pas pour nous adapter et perdre notre identité.

 

Il n’y a pas que les benzodiazépines et les médocs qui silencent. Ce que nous nous disons entre nous pour nous résigner au fait que « c’est comme ça », aussi.

 

Il faut nommer ce qui se passe.

 

Ce n’est pas normal de travailler 12 heures par jour.

 

Ce n’est pas normal de travailler les dimanches, les jours fériés et pendant les vacances.

 

Ce n’est pas normal d’être constamment en train de devoir faire plus, en moins de temps et pour gagner moins.

 

Ce n’est pas normal de sentir que tu dois être tout le temps disponible.

 

Ce n’est pas normal de devoir réponde à tous les appels que tu reçois sur ton portable, peu importe l’heure.

 

Ce n’est pas normal que tu sois obligée de demander un « arrêt maladie » pour te donner le temps de vivre.

 

Ce n’est pas normal qu’on te maltraite, on te sous-estime, on te traite comme un numéro.

 

Ce n’est pas normal qu’on t’insulte, qu’on t’impose des milliers de tâches et qu’ensuite on te culpabilise parce que tu n’y arrives pas.

 

Ce n’est pas normal que tu aies à attendre trois mois pour recevoir une réponse d’une administration et qu’ensuite on t’exige de répondre rapidement.

 

Ce n’est pas normal que tu doives être constamment en train de regarder sur la page de pôle-emploi ou de la CAF pour savoir si tu vas recevoir une aide.

 

(J’en rajoute deux que je vais me répéter à moi-même)

 

Ce n’est pas normal que l’on te demande de donner des conférences et des formations gratuitement.

 

Ce n’est pas normal d’avoir à créer des contenus pour les réseaux sociaux pour les causes pour lesquelles tu milites. Alors que ces mêmes réseaux s’enrichissent, et même beaucoup, avec ces contenus.

 

Tout cela, (et bien plus) s’appelle exploitation.

 

Et c’est de la violence.

 


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Commentaires: 5
  • #1

    F A (mardi, 14 mars 2023 20:52)

    Alors que fait-on ? Parce que être sans emploi et seule c’est pas tellement plus facile

  • #2

    Elisende Coladan (mardi, 14 mars 2023 21:24)

    Pas plus facile que ?

  • #3

    Pierre Campia (mercredi, 15 mars 2023 10:52)

    Oui vous avez dit les mots justes...
    Oui ne collaborons pas à cette " fabrique du consentement"
    Merci

  • #4

    Marie (mercredi, 15 mars 2023 22:43)

    MERCI !!!!!

  • #5

    Eva Arnaud (vendredi, 17 mars 2023 10:48)

    Les larmes au bord des yeux, je vous remercie.
    Merci de me venir avec ses mots parler à la personne lambda que je suis mais aussi à lae thérapeute.