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Vouloir etre en relation à tout prix ?

@Amanada Cass

Vouloir être en relation à tout prix ?

Elisende Coladan

 

Comment expliquer qu’en 2023, des femmes autonomes financièrement et ayant un bon cercle amical, semblent ne pas pouvoir envisager le fait de pouvoir bien vivre sans avoir une personne dans leur vie sexuelle et affective. Qui ont du mal à avoir des activités seules, que ce soit aller voir une expo ou faire une randonnée ou aller dans un restaurant/bar. Elles sont en souffrance, vont de rencontre maltraitante en rencontre maltraitante, d’homme fuyant l’engagement en homme voulant imposer sa manière de voir les relations, les plongeant dans des questionnements sans fin où « la peur d’abandon » revient en boucle. Tout semble préférable à la situation de bien vivre seule. Beaucoup trop de femmes ont encore l’impression qu’il leur faut absolument un homme à leur côté « pour aller bien », alors que c’est souvent parce qu’elles en ont un qu’elles ne vont pas bien.

 

J’observe les mêmes mécanismes un peu dans toutes les relations, essentiellement hétérosexuelles (mais pas uniquement), dès le moment qu’il y a des liens affectifs ou/et sexuels. Systématiquement, ce sont des engrenages similaires qui se mettent en place. Pourquoi ? Parce que nous sommes imprégné.e.s par tout ce que nous lisons et voyons, à travers les médias, les films, les séries, les romans, les publicités, les réseaux sociaux ... Les mêmes schémas relationnels[1] sont répétés des milliers de fois, notamment ceux de l’amour romantique, déjà mentionnés dans ce blog[2] . Le tout dans un contexte où les applis de rencontre voient leurs utilisatrices et utilisateurs augmenter considérablement au point que certain.e.s n’envisagent pas d’autres possibilités d’entrer en relation avec quelqu’un.e.

 

Je remarque combien les dénominations et la dynamique des relations vont vite. Rapidement il faut nommer la personne : « notre ami.e », notre « sex-friend » « notre partenaire », ou encore (même si ce terme lorsqu’il est prononcé par une personne qui n’est plus adolescente, me paraît assez absurde), « notre copine ou copain », avec tout ce que cela comporte de liens et d’imaginaire, sans compter l’adjectif possessif qui indique bien un sentiment d’appartenance/possession. Il est important aussi de définir la relation : « être en couple », « être en relation », « être en relation sexo-affective »[3], « en relation aromantique », « être polymaoureux.euse », « être anarchiste  relationnel.le », etc.  Si nous refusons de le faire, c’est l’entourage qui pose des questions du style « mais, c’est sérieux ? », « c’est la bonne personne ? », « c’est pour de bon ? », « c’est une relation principale ou secondaire ? » et oblige à définir une relation.  De nouveaux mots surgissent : « amimoureux.euse[4] », « métamour[5] »[6] « bromance[7] », « queermance[8] », etc. Les dénominations et donc les représentations qui se font d’une relation semblent plus importantes que prendre son temps, se découvrir, s’observer, échanger, communiquer avant de se définir.

 

Se dire « en relation », quel que soit le type de la relation est essentiel, alors qu’il s ‘agit de personnes qui se connaissent que depuis quelques heures/jours. Cela peut paraître rassurant, donner l’illusion qu’il y a un accord profond, mais dans les faits, se sont deux clairement deux inconnus.e.s qui ont (peut-être) vécu de beaux/bons moments ne définissant en rien ce qui va advenir. Par ailleurs, nommer rapidement donne souvent une fausse importance à la relation, notamment pour l’entourage. Il est alors compliqué d’avoir à expliquer que finalement nous avons changé d’avis, nous nous sommes trompées, alors que cela avait l’air d’aller « si bien ». Cela s’accompagne souvent d’un sentiment d’échec, d’une peur d’être perçu.e comme une personne qui accumule les relations « sans savoir ce qu’elle veut » et mène à vite aller chercher du réconfort dans une nouvelle relation, afin de (se) prouver, qu’il n’en est rien, que c’était juste une question de « pas de chance ».

 

La vitesse à laquelle se tissent ces relations, par la supposée facilité qu’il y a aujourd’hui à entrer en contact avec quelqu’un.e par l’intermédiaire des applications de rencontres et les réseaux sociaux, s’accompagne souvent de sentiments extrêmes : c’est vite la passion et quasiment tout aussi rapidement, c’est la souffrance réelle, suivie par la rupture. Les deux accompagnées de fortes émotions, souvent difficiles à vivre, qui demandent une énergie importante, sont des déclencheurs puissants de notre mémoire émotionnelle et empêchent notre cerveau rationnel d’analyser et comprendre ce qui se passe[9]. C’est également un shoot d’hormones qui donne l’illusion « d’être vivant.e », de « vivre à fond » et qui peut engendrer une véritable dépendance, voire une addiction.

 

Pourquoi cette rapidité à se dire « en relation ou en couple » ? Une des explications me semble être le stigmate encore très présent de se dire « seule ». Immédiatement pleuvent des questions, des conseils pour surmonter « cette phase » et pour trouver rapidement quelqu’un.e. Nous sommes en plein 21e siècle, en France, vivant au niveau des relations sexo-affectives, comme dans un passé, pas si lointain que ça, où la seule idée d’une femme seule et heureuse de l’être, semble juste impossible[10]. Il est envisageable d’accumuler les relations simultanément ou l’une après l’autre. Mais : seule ? Jamais !

 

De cela s’ensuivent des rêves, des idéalisations, tout un imaginaire autour d’une personne avec qui avoir une relation épanouissante. Et ce dit imaginaire est rapidement apposé sur la personne qui plait, qui attire, qui semble sympa, sans prendre le temps de vraiment la connaître, sans s’interroger vraiment, sans prendre le temps de découvrir qui elle est vraiment. Ce même imaginaire est utilisé par de nombreux hommes au début de la relation, en faisant croire qu’ils sont empathiques, serviables et bienveillants, alors qu’il ne s’agit que d’une stratégie.

 

Bien sûr, tout cela est au service de notre société patriarcale : une femme qui passe ses journées à rêver, à se construire un imaginaire, à se projeter dans une relation utopique, à se morfondre à attendre un sms, à s’interroger dès que l’autre change et à souffrir, est une femme qui ne va pas bien. Elle s’intéressera moins à son travail, à ses amitiés, à sa famille, à son entourage, ira partout en pensant que si elle était accompagnée, ce serait mieux ou à imager un futur où l’autre changera. Elle sera dans l’impossibilité de profiter complètement de l’instant présent. En fait, elle agira comme une personne traumatisée qui n’arrive pas à se situer dans l’« ici et maintenant », revit sans cesse le passé, appréhende le futur ou/et l’imagine d’une manière totalement irréelle.  C’est ainsi qu’elle pourra se retrouver rapidement asservie et soumise sans s’en douter ou sombrer dans un état dépressif plus ou moins profond, s’il y a rupture.

 

Pour éviter de tomber dans le piège de la/des relation.s « à tout prix »:

 

  • -        S’informer sur le féminisme via des lectures, des vidéos, des podcasts, des blogs et les réseaux sociaux
  • -          S’entourer d’un véritable réseau de soutien féministe
  • -          Lire des articles ou des livres sur la déconstruction de l’amour romantique[11]
  • -          Créer des groupes de parole où échanger sur les relations[12] à partir d’une perspective féministe
  • -          Comprendre que le « personnel/privé est politique ». Votre histoire est semblable à celle de millions de femmes
  • -          Suivre des stages/ateliers d’autodéfense féministe[13]
  • -          Comprendre les mécanismes des violences machistes (notamment celles vécues pendant l’enfance) et leur impact sur le cerveau
  • -          Connaître les mécanismes de l’emprise[14] à partir d’une perspective féministe
  • -          Ne pas oublier que grand nombre de violences machistes ont lieu dans la sphère privée
  • -          Rester vigilante face à un discours féministe théorique et décontextualisé
  • -          Ne plus endosser la charge mentale de la relation et/ou du changement de l’autre
  • -          Comprendre que les violences machistes sont dans tout type de relation y compris les non-monogames et/ou queer
  • -      Intégrer que ne pas avoir de relation(s) sexo-affectives ne veut vraiment pas dire être seule

 

Il est grand temps que les femmes s’orientent aujourd’hui vers une définition d’elles-mêmes en tant qu’individus et non plus par rapport à l’autre [15].

 



[1] Pour preuve, si nécessaire, « Smiley »une série espagnole LGBT, sortie en décembre 2022 sur Netflix.

[3] J’ai été une des premières à utiliser cette appellation en France, dans les groupes de parole sur les non-monogamies que j’ai animé pendant quelques années entre 2015 et 2020, ainsi que dans mes traductions de mon blog. Elle permet d’enlever le caractère « romantique » des relations https://nonmonogamie.com/

[4]  Relation dans le spectre amour/amitié

[5] Le.a partenaire d’un.e partenaire.

[7] «Amitié forte entre deux ou plusieurs hommes, avec un niveau émotionnel élevé et des démonstrations d'intimité fortes, sans composante sexuelle connue. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Bromance

[8] Semblable à une bromance, mais se réfère à l’amour compliqué et l’affection partagée entre un homme gai et une femme hétéro. Traduction de https://www.urbandictionary.com/define.php?term=Queermance

Noter pour ces deux termes la place donné au genre masculin …

[9] Théorie des trois cerveaux ou du cerveau tripartite/triunique (théorie souvent décriée à cause des dérives qui en ont été faites).

[14] L'Emprise d’Anne-Laure Buffet. Ed Que sais-je ? à paraitre le 15 mars 2023

[15] MUNDY, Jean « Feminist thérapy with lesbians and other women », 1974

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Commentaires: 2
  • #1

    Bellavance Monique (dimanche, 19 février 2023 05:45)

    Finalement, être bien dans son corps et dans sa tête, c'est l'essentiel.

  • #2

    Elisende (dimanche, 19 février 2023 08:20)

    Je pense que cela va bien au-delà que cette formule digne d'une pub pour un spa. Comment être bien dans son corps avec un regard patriarcal sur lui et être bien dans sa tête alors que nous vivons des oppressions, des agressions et des violences ?