Réflexions autour du film « Annie Colère »

Réflexions autour du film « Annie Colère »

Elisende Coladan

Je l’ai vu ce week-end, j’ai été émue et j’ai repris espoir. Je me suis même prise à rêver …

 

C’est un film [1] qui raconte un aspect du féminisme français dont j’ignorais l’ampleur. Même si j’étais adolescente à cette époque-là, je vivais en Amérique Latine et j’étais bien loin de savoir ce qui se passait. Bien que je me sois réjouie de la légalisation sur l’avortement et que l’été 75 j’aie pu participer à des débats sur le sujet, pendant des vacances en France. J’ai aussi, deux ans plus tard, été témoin du voyage d’une camarade de classe du Lycée Français de Casablanca, où j’habitais alors, pour qu’elle puisse avorter en France.

 

Le sujet du film est l’histoire d’Annie, une femme ouvrière qui vient pour avorter avec le MLAC et finit par en faire partie. Le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, pratiquait, au début des années 70, des avortements illégaux et sécures, grâce à la méthode Karman, au départ de manière clandestine, puis beaucoup plus ouverte. C'est grâce, en partie, à ce mouvement que la Loi sur l'Avortement a pu être finalement promulguée. Cependant, une fois la loi adoptée en 1975, le mouvement perd de sa force et disparaît.

 

Les avortements avec le MLAC, étaient pratiqués dans une ambiance sécurisante, avec des femmes qui informaient, rassuraient, soutenaient et encourageaient. Avec également, des médecins, majoritairement hommes qui encadraient et faisaient les actes, notamment au départ. Ce qui n’avait pas été sans problèmes, évidemment. Et bien sûr, je n’ai pu que penser aux histoires d’avortement que j’entends aujourd’hui, où il n’est question que de froideur, voire de violence psychologique et verbale, ou de solitude et de douleur, lors d’un avortement vécu toute seule avec la pilule abortive. Bien loin de toute la chaleur humaine que dégage ce film.

 

Ce film m’a montré, comment, une fois encore, si les femmes s’organisent à la base et créent des réseaux d’entraides, elles le font en prenant bien soin les unes des autres et elles peuvent faire changer les structures patriarcales de l’état. C’est ce que j’ai constaté également en Espagne où, par exemple, des protocoles pour éradiquer les violences machistes ont été élaborés et mis en pratique par des collectifs féministes, pour être ensuite repris par des gouvernements autonomes, comme c’est le cas de la Catalogne. Savoir repris également en les professionnalisant. C’est ainsi qu’être une professionnelle féministe et là-bas synonyme d’une bonne connaissance des mécanismes des violences machistes, ainsi que de leur impact sur notre corps et notre psyché.

 

J’ai été pleine d’espoir en constatant qu’en France cela avait été le cas avec le MLAC. Car, souvent, lorsque j’explique ce qui s’est passé et se passe en Espagne, la question qui surgit est : pourquoi pas en France ? 

 

Une explication en est donnée par Aurore Koeclin, dans son ouvrage « La révolution féministe » : « La nomination d’Yvette Roudy, … toute une partie du mouvement féministe historique va entrer dans l’administration de l’Etat … Cette institutionnalisation du mouvement féministe dans une stratégie de plus en plus en dialogue avec l’Etat … pose un certain nombre de problèmes. Le premier concerne l’illusion de réformer la société par l’intervention de l’Etat … ».

 

Ce film présente également l’importance du MLAC non seulement pour l’avortement, mais pour la connaissance des femmes de leur propre corps et leur sexualité. La discussion où il est question de prostate féministe (si ce n’est pas un anachronisme) et la surprise qui s’en suit, n’a pas été sans me rappeler, la même incrédulité lorsque j’en ai parlé lors d’ateliers sur la sexualité féminine, 45 ans plus tard ! Il y a peu, j’ai découvert, dans le livre d’Isabelle Alonso, « Les vrais hommes sont féministes », qu’elle y conteste ce fait alors que Dechavanne lui dit, avec raison « tout le monde a une prostate ». La médecine et les scientifiques patriarcaux ont invisibilisé l’existence d’une prostate féminine et ignoré sa fonction, jusqu’à ce jour. Avec toutes les erreurs et errances médicales qui s'en suivent. Tout comme son rôle dans notre plaisir (le fameux point G, serait en fait notre prostate). Et dans un livre, de divulgation, lu par des milliers de femmes, dans un discours qui se dit féministe, le contraire est écrit, en 2021 ! Cela montre, si besoin, combien il est important que l’information se fasse de femme à femme car, autrement, elle se perd.

 

En regardant cette formidable organisation, présentée dans le film, je me suis mise à rêver à ce qu’il y ait la même concernant les violences machistes et leur impact. Pour que ce qu’elles font sur notre cerveau soit expliqué et que les femmes puissent apprendre des notions de psychotrauma (car comprendre ce qui se passe est déjà un pas vers le mieux-être), comme je l’explique pendant mes consultations, en spécifiant qu’elles peuvent divulguer ces informations. Ce qu’elles font, avec leurs amies ou dans des collectifs, certaines même avec des outils comme les conférences gesticulées/des pièces de théâtre ou d’autres, dans le cadre de leur travail d’infirmière en institutions psychiatriques ou plannings. J’ai du reste appris à les leur transmettre, notamment avec des moyens mnémotechniques simples et en restituant les violences dans un contexte social systémique, qui va bien au-delà du personnel et ce grâce à mes formations en Espagne.

 

J’espère que peu à peu cela se fera en France.

 

 

Les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître (« (For) the master's tools will never dismantle the master's house ») Audre Lorde 1979

 

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