Reveillons-nous ! Unissons-nous !

Réveillons-nous ! Unissons-nous !

Elisende Coladan

 

J’affirme que toutes femmes, absolument toutes, nous avons subi et souvent continuons à subir des violences machiste[1]s. De tout type. Beaucoup depuis l’enfance. Cela va de l’inceste ou l’incestuel, aux coups, au mépris, aux regards, aux sous-entendus, en passant par des abandons paternels ou des rabaissements fréquents. Souvent, il s’est greffé dessus un discours maternel invisibilisant les faits, voire enjolivant une enfance qui pouvait être plus difficile que merveilleuse[2] ou bien opposant un déni impressionnant sur ce que leurs enfants enduraient. Le tout enveloppé dans un grand silence concernant leurs propres enfances ou jeunesses, les maltraitances subies, les violences sexuelles de la part de leurs « petits amis » ou du/des père(s) des enfants. Certaines accusent même leur mère de bien des maux, qui ont existé sans doute aucun, mais sans s’interroger sur les raisons pour lesquelles leur mère était ou est si blessante, si renfermée, si triste, si … Interrogeons-nous sur notre propre père, sur nos oncles nos grands-pères ou nos frères, posons-nous des questions et nous aurons des réponses essentielles, très souvent difficiles à entendre et à intégrer.

 

La majorité des femmes que j’accompagne en thérapie consultent parce qu’elles ont vécu et/ou vivent dans l’actualité des violences machistes qui affectent leur santé mentale[3] et que souvent elles n’arrivent pas à percevoir et même, parfois, elles refusent de voir. J’entends régulièrement « mais tout n’est pas aussi sombre que vous avez l’air de le croire ». Ce à quoi je réponds que c’est bien là le problème, si tout était terrible, elles s’en rendraient compte, arrêteraient les violences et ne viendraient pas en thérapie. Les mythes de l’amour romantique font, qu’à partir de croyances fondées sur le couple hétérosexuel, les femmes courent après un idéal amoureux. Comment imaginer aujourd'hui des relations égalitaires et dans le prendre soin, dans un monde où les algorithmes des sites de rencontres [4] sont faits pour les hommes, où ces sites sont devenus, pour un grand nombre d’individus une forme de prostitution gratuite où les femmes sont interchangeables et où il y en a toujours de disponibles. Dans un monde où l’immense majorité des hommes se masturbe devant des pornos, ce qui affecte leur vision des femmes, leur cerveau et leur sexualité ? Il est temps d’en parler, de le mettre sur l’avant de la scène, d’arrêter de le tabouiser ou d’être dans le déni d’une dure réalité, violente et extrêmement oppressive.

 

Bruno Clavier [5], psychanalyste et psychologue clinicien, explique qu’il réalise actuellement que la grande majorité des troubles psychiques viennent de violences et donc de traumas vécus dans l’enfance, voire dans la très petite enfance. J’en suis persuadée depuis quelques années. Je suis convaincue que cela nous prédispose, en tant que femmes, à être des proies faciles par la suite et tomber dans des relations maltraitantes, dans lesquelles nous nous engluons, en essayant de comprendre l’autre, en voyant ses blessures et pas les nôtres, en espérant qu’à force de compréhension, il changera. Cela part de la grande contradiction intrinsèque à l’inceste : comment un homme qui est censé être aimant, comme un père, un oncle, un frère, un ami de la famille tout à coup peut imposer sa sexualité d’adulte à un.e enfant ? Le cerveau à ce moment-là disjoncte devant tant d’incohérence et de douleur, en dissociant la part émotionnelle de celle rationnelle[6].

 

Je viens d’évoquer, en quelques paragraphes, un vrai conditionnement qui fait que les femmes non seulement nous endurons sans rien dire, nous coupant de nos propres émotions et souffrances mais nous essayons, en plus, de comprendre, d’aider, de sauver, les êtres qui sont la source même de notre douleur. Comme l’indiquent Dee L. R. Graham, professeure Associée de Psychologie à l’Université de Cincinnati et ses co-auteures dans le livre « Aimer pour survivre »[7], les femmes hétérosexuelles nous vivons dans un syndrome de Stockholm sociétal comme réponse aux violences subies et/ou que nous pourrions subir potentiellement. Ce livre, malheureusement non traduit, si ce n’est un résumé [8] (commenté) en français, devrait être lu par toutes les femmes. J’en reproduis ici, textuellement, deux extraits du condensé en français :

 

« Quand les femmes se lient aux hommes c’est par un lien amoureux et/ou érotique. Pourquoi ? Car en interprétant les situations de danger et de violence comme étant de l’amour plutôt que de la violence pure, simple et factuelle on favorise un prisme amoureux qui produit moins de peur que la reconnaissance de ce que nous vivons. L’amour est une réponse dans le sens où elle permet de ne plus ressentir la peur. Comme la mémoire traumatique. Ça permet au cerveau de disjoncter pour continuer à tenir. 

(…)

La dépendance amoureuse est un des facteurs qui indique la présence du syndrome de Stockholm : les femmes perçoivent leur survie comme dépendant de l’amour que leur partenaire mâle peut leur accorder. Penser, agir et revendiquer que l’amour vient à bout de tout est dangereux car si c’est l’amour des femmes pour les hommes qui peut atténuer et résorber leur violence, alors l’échec de ce projet est imputé aux femmes. Si la violence perdure c’est que nous n’avons pas assez bien travaillé, aimé

 

Pour les autrices de ce livre, toutes psychologues, le mental des femmes est celui de personnes en captivité qui vivent dans la terreur. Nous vivons en adaptation constante afin de calmer la violence machiste présente partout. Ce qui a un impact sur le fonctionnement de notre cerveau.

 

En psycho-traumatologie, il est important de comprendre quels sont les éléments déclencheurs qui entrainent des réactions comme la confrontation, la fuite et la dissociation, ainsi que des crises d’angoisse ou de panique et de les éviter. Il est clair que, pour nous les femmes, les hommes sont des déclencheurs traumatiques.

 

Nombreuses sont les femmes qui, lorsqu’elles arrêtent une relation sexo-affective hétérosexuelle ou lorsqu’elles cessent d’essayer, en vain, de trouver un compagnon aimant et compréhensif, ressentent une libération, un réel bien-être et une profonde sérénité. Accompagnés de sentiments de culpabilité et d’une sensation de manque, puisque tout, dans notre société nous ramène à être en couple hétérosexuel. Je propose de nous relier plutôt à cette sensation libératrice, de la savourer, de l’intégrer, de la laisser s’installer plutôt que laisser la sensation de manque s’installer.

 

Il est temps que les femmes nous nous réveillions, que nous arrêtions de chercher l’allégeance des hommes, de quémander leur amour. Il est important que nous nous unissions, nous éloignant des hommes violents, pour nous entraider, afin de créer une autre manière de vivre ensemble et un autre type de société. Tant qu’ils auront la possibilité de nous dominer, nous opprimer et nous violenter, nous vivrons dans un syndrome de Stockholm sociétal permanent.

 

 



[1] La violence machiste désigne toutes les actions qui contribuent à porter systématiquement atteinte à la dignité, à l’estime de soi et à l’intégrité physique et mentale des femmes, des filles et des personnes ayant une identité de genre et/ou une sexualité autre que normative. Il s’agit d’une forme de violence structurelle systémique, car elle est présente dans toutes les sociétés et dans tous les espaces sociaux, dans lesquels elle se manifeste à différents niveaux et par différents mécanismes. (Traduction du texte en espagnol publié par le centre d’accueil des réfugié.e.s d’Euskadi)

[2] Même s’il y a souvent des moments merveilleux, aussi.

[3] Les plus fréquentes sont des insomnies, des crises d’angoisse ou de panique et des épisodes dissociatifs.

[5] « L'inceste ne fait pas de bruit : Des violences sexuelles et des moyens d'en guérir » https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/linceste-ne-fait-pas-de-bruit-9782228928625

Vidéo: Inceste et violences sexuelles, les chemins de la guérison https://www.youtube.com/watch?v=VYmUnYTOnac&list=WL&index=4

Écrire commentaire

Commentaires: 0