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L’Amour ! Et la tendresse ? Et l’affection ?

Prends soin de tes ami.e.s
Prends soin de tes ami.e.s

L’Amour ! Et la tendresse ? Et l’affection ?

Elisende Coladan

 

Beaucoup de femmes qui viennent en consultation vivent ou sortent de relations amoureuses au minima malsaines, souvent maltraitantes et avec tout type de violences associées. C’est ainsi que les femmes dépensent des centaines d’heures et d’euros en thérapie, pour essayer de sortir de relations qui ne leur conviennent pas. Elles ont du mal à l’accepter, elles se mettent des œillères pour ne pas voir la -triste- réalité, elles en souffrent, en perdent leur équilibre émotionnel, en meurent parfois, le tout au nom de l’Amour©[1].

 

L’Amour ? Le sujet pourrait sembler frivole et sans importance, mais il est loin de l’être. Du reste, nous pouvons nous demander, à juste raison, à qui cela arrange que ce sujet soit vu ainsi et par la même, ne mériter que peu d’attention . Evidemment, à la construction patriarcale de nos sociétés. Car les conséquences sur la vie des femmes sont nombreuses. Cela va de l’abandon de la créativité, à la perte d’un emploi, à de sérieux ennuis de santé mentale et physique, à l’isolement, jusqu’à la mort. Le sujet continue à vous paraître aussi futile ?  S’il l’était, pourquoi passer des heures à en parler entre amies, à essayer de comprendre ce qui ne va pas bien chez l’autre ou dans la relation, ce que nous n’avons pas compris ou raté, ce que nous aurions pu faire autrement, à nous remettre en question, à nous culpabiliser ? Pour atterrir enfin, chez un.e thérapeute, pour comprendre, pour s’en sortir, pour aller mieux. Pour essayer, souvent en vain, d’y traîner l’autre avec qui tout va si mal, alors que tout devrait aller si bien ? Alors, qu’en sortir, signifie généralement, partir, se séparer, quitter la relation et la personne[2] et se reconstruire. Car ce sont des relations destructrices, sans doute aucun.

 

Pourquoi est-il considéré comme frivole ? Parce qu’il concerne essentiellement les femmes. Parce qu’il est considéré comme très féminin. Dans l’imaginaire de notre société, les femmes incarnent l’amour. L’amour maternel, familial, l’amour dans le couple. Combien de fois il leur est dit « qu’elles aiment plus qu’elles ne sont aimées » ? Les hommes, eux, sont censés s’intéresser à des sujets bien plus sérieux.

 

L’Amour est généralement considéré comme un sentiment naturel, spontané, sur lequel il n’y a pas besoin de réfléchir. L’Amour, au nom duquel il y a pourtant nombre de maltraitances, de violences, de viols et de féminicides. Féminicides qui, jusqu’à ce qu’il y a peu, étaient considérés comme des crimes passionnels. Cette même passion qui paraît si merveilleuse au début des relations amoureuses. Produit d’une autosuggestion formidable qui fait que la personne rencontrée il n’y a rien de temps, avec qui il y a eu une relation sexuelle, plus ou moins satisfaisante (plutôt moins, car les premières fois sont rarement géniales), devient tout à coup incroyable, donne envie de dormir toutes les nuits enlacé.e.s, de s’envoyer des dizaines de petits cœurs sur Messenger et d’imaginer des projets de vie à deux. Cette passion qu’il est urgent de raconter aux copines, les yeux pétillants, le cœur battant, avec l’envie d’y croire et qu’elles y croient.

 

 L’Amour qui fait qu’il devient difficile de gérer les coups d’un soir, surtout s’il y a eu de la tendresse. Ces situations où il y a eu des relations sexuelles, sans vraiment connaître l’autre, dans un but, à priori, purement sexuel. Mais, pour un peu qu’il y ait eu de l’affection, du respect, une attention au plaisir réciproque, une parole menant à des accords mutuels cela fait que, l’acte sexuel fini, si chacun.e se tourne le dos, se met à l’autre bout du lit et s’endort, ou se lève et part ou bien demande à l’autre de partir, la tendresse vécue semble incongrue. Situation qui fait être dans un état second, avec mille sensations dans le corps et interrogations dans la tête, sans bien comprendre ce qui vient d’être vécu. Parce que tendresse, amour et sexe sont associés dans nos esprits. Comment alors expliquer la tendresse lors d’un acte sexuel isolé, si ce n’est par l’Amour. Et voilà comment, il est facile de se trouver embarqué.e dans le souhait, dans le désir ou dans la nostalgie d’une relation amoureuse alors que l’accord initial n’était que sexuel.

 

Ou bien encore, lorsqu’il y a une relation sexuelle à un moment donné, alors qu’il y une amitié de plusieurs mois ou années et, tout à coup, cette amitié, par le seul fait d’une relation sexuelle, devrait nécessairement se prolonger en relation amoureuse, voire en relation de couple.

 

Combien des personnes ont des relations sexuelles par manque et recherche de tendresse ? Que se passe-t-il dans notre société pour qu’il faille passer par l’intimité des relations sexuelles pour ressentir l’affection? Pourquoi faut-il que d’un seul coup, parce que ça passe par une relation sexuelle, la tendresse se transforme en Amour ? Pourquoi est-il si compliqué de se donner de la tendresse entre ami.e.s, de se prendre dans les bras, de se caresser affectueusement, sans plus ? Pourquoi y-a-t-il cette peur invisible, mais bien présente, que ça puisse aller plus loin, que l’autre imagine ou souhaite transformer la relation en relation amoureuse ? Pourquoi, si jamais, effectivement, à un moment, cela découle en une relation sexuelle, cela est vu comme un point de non-retour, avec deux seules issues possibles : la perte de l’amitié ou sa transformation en relation amoureuse ?

 

Pourquoi, au nom de la tendresse et du besoin d’affection, des femmes se voient imposer des relations violentes et des violences sexuelles, de plus en plus graves aujourd’hui, tant les hommes se gavent d’images pornocriminelles où les femmes sont avilies, où les scènes d’humiliations sont de plus en plus fréquentes. Qu’elles encaissent en silence, car à côté, cette violence peut s’accompagner, justement, de tendresse et d’affection. Que du coup, ces mêmes femmes se dissocient, en perdent leur équilibre mental et restent là, acceptant l’inacceptable au nom de l’Amour ?

 

Alors, oui, l’Amour est une affaire de femmes. Absolument. Mais pas, mais plus, dans le sens communément admis, rempli d’imagerie romantique. L’Amour doit être l’affaire des féministes. L’Amour en tant que sujet d’analyse, d’observation critique et surtout pour comprendre comment se construisent les relations amoureuses. Comment elles peuvent prendre de l’énergie, du temps, vulnérabiliser la santé physique et mentale, comment elles peuvent mener à des situations abusives et violentes, comment elles nous dissocient, comment elles aboutissent en féminicides. Il est important de revoir notre construction de l’Amour, ne plus le mettre au sommet des relations pour le mettre au même niveau que la tendresse et l’affection si nécessaires à notre équilibre émotionnel, que nous pouvons trouver dans d’autres relations que la relation amoureuse.

 

Arrêtons de voir l’Amour comme un récit individuel et unique à construire par nous-mêmes et commençons à le voir comme une construction sociale et culturelle patriarcale qui nous concerne toutes, qui nous dessert grandement et qui nous vulnérabilise. Imaginons d’autres récits, d’autres manières de vivre les relations, en prenant soin les unes des autres, en nous apportant écoute et affection mutuelle et en devenant ainsi plus fortes.

 


[1] L’Amour© est une expression de Brigitte Vasallo, féministe espagnole, pour parler de l’Amour Romantique. Dans cet article, je parlerai d’Amour, avec un grand A, qui est une notion plus connue en France. Ici, il s’agit de le comprendre comme une construction culturelle et sociale au-delà du sentiment.

[2] Je ne parlerai pas ici, ni dans ce que j’écris sur l’Amour Romantique, de Pervers Narcissique. Car c’est regarder un fonctionnement plutôt que voir les raisons qui font que des personnes agissent de la sorte. J’ai écrit sur le sujet ici : https://www.therapie-feministe-elisende.com/2019/03/01/pervers-narcissiques-ou-enfants-sains-du-patriarcat/

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Commentaires: 1
  • #1

    Anne Beaupuy (vendredi, 28 janvier 2022 18:02)

    Bonjour Elisende
    Cet article résume pas mal de réflexions perso.
    L'Amour est vraiment le miroir aux alouettes du patriarcat. C'est ce qu'on raconte aux femmes pour les faire adhérer au système.
    Quelques livres sont sortis sur le sujet. J'ai le sentiment qu'ils ne vont pas assez loin dans le démantèlement des constructions. Et cherchent comment faire "avec"

    Merci pour cet article.

    Anne