Un violeur sur le chemin d’une toute jeune fille – Elisende Coladan
Ce week-end, j’ai lu « Le consentement » de Vanessa Springora. Acheté samedi soir, je ne l’ai pratiquement pas lâché jusqu’à le finir. Cela faisait longtemps qu’un livre ne m’attrapait pas ainsi.
C’est bien écrit, simplement et lucidement écrit. C’est le récit d’une domination masculine, qui commence lorsque l’autrice est à peine adolescente et qui continue longtemps après. Le récit des agissements d’un prédateur sur sa jeune proie. Le récit d’un entourage qui au mieux ferme les yeux et au pire, encourage cette relation entre une jeune fille de 14 ans et un homme de 50 ans.
L’écrivaine souhaite que son livre soit lu par des jeunes. Il devrait l’être, certes, mais pas uniquement lu. Il devrait être décrypté, passé au scanner, pour en révéler les mécanismes mis en place, clairement décrits et les rendre bien visibles, reconnaissables afin qu’ils puissent être repérés facilement pour mieux les fuir.
Il serait aisé de ne voir en ce récit que le témoignage d’une jeune fille aux parents défaillants, dans un milieu intello, proie facile d’un pervers avec un aura d’écrivain sulfureux. Une jeune fille en plein éveil sexuel réveillée en sursaut par une sexualité adulte qui l’envahie et bouscule tout son être. Le tout enrobé par un discours amoureux et romantique. Une jeune fille qui, depuis son enfance, s’abreuve des livres qui accompagnent sa solitude. Qui confond « l’homme et son statut d’écrivain ».
Un homme qui tisse sa toile par l’écriture. Initiant son emprise avec des échanges épistolaires, qui nourrissent l’imaginaire de l’adolescente, l’enflamment, la font rêver. L’écrivain la voussoie, la traitant ainsi en adulte, la plaçant sur un plan d’égalité, effaçant les années. Rapidement, il créé l’attente en installant un rythme de deux missives quotidiennes, qui doivent rester secrètes et que la jeune fille guette afin qu’elles ne tombent pas dans les mains de sa mère. Un homme qui épie sa proie, qui cherche la rencontre due à un supposé hasard, qui la suit dans l’ombre au point qu’elle sent sa présence sans le voir. Puis, il fixe un rendez-vous et la victime tombe dans la nasse. Elle pense à une rencontre dans un café, à de longues discussions littéraires, il n’en est rien : il l’entraîne dans son antre (un petit studio encombré de livres près du Luxembourg) et il la viole tout en douceur. Car un viol, n’implique pas nécessairement de la violence physique, mais bien tout un dispositif savamment calculé, longuement pensé, afin que la victime devienne consentante.
Mécanique amplement entraînée, que l’adolescente comprend en découvrant dans les ouvrages de son prédateur le récit de ses autres victimes, d’autres très jeunes filles qui, comme elles, ont reçu des lettres et y ont répondu. Elle voit ces courriers dévoilés, sans respect de la confidentialité, brisant la confiance mise dans des écrits supposés secrets, qui viennent en fait nourrir l’imaginaire du lettré et assouvir sa sexualité oppressive.
Une supposée passion répétable à l’infinie, car reprise maintes fois, s’appuyant sur les mythes de l’amour unique et authentique, imaginant un coup de foudre irrésistible et la merveilleuse prétendue histoire d’amour qui s’en suit.
Lorsque le charme est rompu, lorsque la vérité apparaît et que la toute jeune femme se révolte, fusent les adjectifs trop souvent lancés aux femmes furieuses de découvrir la duperie : folle, insatisfaite, hystérique ! Alors qu’elle s’enfuit, qu’elle court sans trop savoir où aller, elle atterrit chez un très célèbre philosophe, ami du prédateur qui, contre toute attente, l’enjoint de vite le rejoindre, lui explique qu’elle a été choisie parmi tant d’autres, qu’elle devrait en être immensément heureuse et qu’elle doit l’accepter tel qu’il est. Malgré les mensonges, car mentir fait partie de la création littéraire. Ce chapitre, à lui seul, explique l’aveuglement de l’entourage de cette adolescente en danger, comment la mécanique de la prédation fonctionne parce que tout le terrain y a été préparé. Parce que tout l’entourage social y est prêt.
Au-delà de l’histoire de Vanessa Springora, ce texte permet de comprendre comment un Weinstein, comment un Epstein, comment un homme avec un peu de prestige, fusse-t-il dû à la célébrité, à l’argent, à un statut social, à un poste d’enseignant, à un sacerdoce, à une supériorité hiérarchique, à son érudition, à ses yeux verts, à une belle moto, peu importe, en obtient un tant soit peu de pouvoir lui permettant d’installer son emprise et opprimer. Ce témoignage permet de comprendre, de manière lumineuse, les engrenages de la culture du viol patriarcale et comment une toute jeune fille, mais également une femme adulte, peuvent s’y trouver très rapidement prises au piège sans que personne ne fasse quoi que ce soit pour leur venir en aide, alors même qu’il est évident qu’elles se noient. Que même s’il s’agit d’atteintes sexuelles sur mineure et que c’est puni par la loi, l’écran de fumée créé par l’idée romantique de l’amour et de la création littéraire empêche de voir ce qui pourtant crève les yeux .
Aujourd’hui, le rideau se lève, le rideau est levé, il est impossible de ne plus voir ce que des millions de petites filles et de femmes subissent.
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