Les protocoles feministes

Point violet des Fêtes Patronales de Bellvitge, banlieue de Barcelone, septembre 2018
Point violet des Fêtes Patronales de Bellvitge, banlieue de Barcelone, septembre 2018

Les protocoles féministes 

Elisende Coladan

Exemple du Protocole Féministe du Poble Sec, Barcelone

 

Fin 2017, j’ai vécu une agression verbale de la part d’un homme, lors d’un évènement organisé en Catalogne. Suite à cela, j’ai été immédiatement accompagnée par une participante à l’événement formée à la prise en charge de femmes victimes d’agressions. Expérience que j’ai racontée, à l’époque, sur mon autre blog [1]. Quand j’ai fait part à mon amie de mon étonnement devant l’efficacité de cette prise en charge, elle m’a répondu, comme si c’était une évidence : « c’est le protocole féministe de Poble Sec » et m’a proposé d’aller voir sur Internet, ce qu’il en était.

En 2015, une groupe de femmes, d’un quartier de Barcelone : Poble Sec, face aux multiples agressions machistes subies, notamment pendant les fêtes locales[2], ont décidé de prendre la situation en main et faire en sorte d’arriver à avoir des « espaces libres de violences machistes », dans lesquels pourvoir profiter pleinement des ambiances festives. Elles ont reçu, l’année même, le prix « 25N [3]» de la municipalité de Barcelone. Depuis, de nombreux groupes féministes ont repris l’idée d’un protocole féministe y compris, l’année suivante, la ville de Barcelone et le conseil municipal[4] « féminisme et LGBTI[5] ». Depuis, la même municipalité a mis en place différents protocoles, dont un pour lutter contre la violence conjugale, un autre qui s’adresse aux discothèques, ainsi qu’un guide pour détecter la violence machiste chez les hommes, etc. Toutes ces actions sont accompagnées d'informations sur les violences faites aux femmes avec des feuillets, des personnes ressources, etc . Mes amies féministes catalanes trouvent que ce n’est pas suffisant, mais face au quasi désert français en la matière, je pense que c’est très encourageant et un exemple à suivre.

C’est ainsi que je me décide à traduire les éléments les plus importants du Protocole féministe de Poble Sec de 2015. Depuis, d’autres protocoles ont vu le jour, avec de nouveaux apports et ressources[6]. Mais, celui-ci est un point de départ pour réfléchir à des plans d’actions en France.

Je souhaite, à partir de 2020, constituer un groupe de volontaires qui voudraient travailler sur la réalisation de protocoles et à la mise en place d’actions civiles féministes pour lutter contre les violences machistes, inspirées par ce qui se fait en Catalogne[7].

 

Protocole d’action contre les agressions sexistes du Poble Sec.

Ce protocole est écrit par et pour les personnes qui organisent les fêtes patronales du Poble Sec. Notre volonté est de contribuer à mettre notre petit grain de sable dans la lutte antisexiste et créer des espaces où nous pouvons nous mouvoir de manière sûre, consentie, libre, horizontale, etc. C’est pour cela que nous savons qu’il est nécessaire que les personnes puissent se sentir libres et en sécurité, avec la possibilité de poser des limites, etc. C’est la raison pour laquelle nous parlons de « l’objectif empouvoirement » comme objectif transversal. L’idée est de garantir un espace de sécurité, de confiance et d’appui pour pouvoir agir par nous-mêmes. Cependant, nous souhaitons nous former pour agir de manière responsable, nous voulons apprendre à poser des limites, comprendre la notion de consentement pour vivre ce processus en conscience.

 

Préambule :

a)       Rien ne justifie une agression (ni les drogues, ni les vêtements, etc.)

b)      Une agression c’est quand quelqu’un.e ce sont agressé.e.s ; chaque personne a ses propres limites, qui varient en fonction du vécu personnel. Il n’est pas légitime de mettre en question les limites d’une autre personne.

c)       Toutes et tous pouvons être agresseur.e.s : toutes et tous pouvons dépasser les limites d’une autre personne car celle-ci sont subjectives. Cela correspond au ressenti de la personne. Rappelons-nous que nous nous socialisons dans un système patriarcal.

d)      Le patriarcat est un système de relations de pouvoir où le rôle masculin bénéficie de privilèges. Ce système octroie une situation privilégiée aux personnes considérées comme hommes, à partir d’une logique où les hommes auraient des droits sur les femmes et les place automatiquement en situation de supériorité. Ce qui ne veut pas dire que tous les hommes exercent ce pouvoir mais qu’ils peuvent se croire en droit de l’exercer.

e)      Une agression est un abus d pouvoir d’une personne sur une autre : ce n’est ni un malentendu, ni un conflit.

f)        L’idée que « le personnel est politique » nous amène à proposer ce protocole qui, loin de hiérarchiser les relations souhaite que toutes nous ayons connaissance de cette réalité et que nous agissions auprès des femmes agressées puisque, en fin de compte, c’est nous toutes qui le sommes potentiellement.

g)       Les personnes qui sont agressées ne sont pas « des victimes passives », mais plutôt des survivantes du système patriarcal. Nous avons à agir en prenant en compte constamment du consentement de la personnes agressée. C’est ainsi que ce protocole se veut comme un mécanisme de protection transversal de l’espace festif, sans jamais perdre de vue les décisions que prend la personne qui subit l’agression.

 

Comment agir face à une agression :

Nous présentons ici les actions concrètes en cas d’agression sexiste pendant les fêtes patronales.  Il faut faire remarquer que non seulement il y aura une réponse à l’agression sexiste au moment-même où elle a lieu mais également il est question d’un accompagnement ultérieur à l’agression si la personne agressée en fait la demande. Il est souhaitable que la personne agressée se rende rapidement vers le lieu[8] où se trouvent les personnes médiatrices[9] qui accompagneront la personne agressée jusqu’au lieu de l’agression et/ou l’agresseur. Si la personne ne s’adresse pas directement aux personnes médiatrices, lui demander toujours son accord avant d’agir[10]. L’action des personnes médiatrices suit 3 étapes:

1 – INFORMATION: Il est communiqué à l’agresseur qu’il vient de commettre une agression sexiste et que la personne agressée se sent gênée et violentée. Il lui est indiqué que ces attitudes ne sont pas tolérées et qu’elle doit quitter les lieux de la fête.

2 – EXPULSION : Si la personne n’obtempère pas, elle est expulsée des lieux de la fête. Des personnes préalablement formées se chargeront de cette expulsion. La méthode propose est celle de la « muraille humaine ». C’est la responsabilité de toutes que cette personne ne puisse pas revenir à la fête.

3 – Une fois l’agresseur parti ou expulsé, une annonce est faite par micro que les comportements et discriminations sexistes ne sont pas tolérés. Un manifeste[11]est lu. Le lendemain, avant le début des festivité cette charte est lue encore une fois avec un rappel que les attitudes sexistes ne sont pas tolérées.

 

Accompagnement:

Il est demandé ensuite à la personne agressée si elle a besoin d’être accompagnée. Cela peut être le cas pour se rendre chez un médecin, à l’hôpital ou pour porter plainte. Elle sera accompagnée par des personnes préalablement formées à cela. Il y a également des feuillets avec des adresses et des ressources concernant les violences machistes qui peuvent lui être fournies.

 

Points importants :

Il est nécessaire d’être vigilant.e face à toute agression sexiste.

-          Si tu es responsable d’un point violet et tu vois ou tu es informé.e d’une agression, la première chose à faire c’est de te déplacer vers le lieu de l’agression et parler avec la personne qui a été agressée.

-          La personne agressée doit avoir la possibilité de parler librement. Elle peut réagir comme elle le souhaite face à l’agression. Si elle ne veut pas donner suite, c’est sa décision.

-          Une réponse collective peut être donnée si la personne agressée le souhaite.

-          Il est important d’apporter du soutien à la personne agressée, qu’elle se sente protégée sans qu’elle doive se sentir obligée de partir. Il est important de lui offrir un espace de sécurité et l’éloigner de l’agresseur.

-          Il est nécessaire de comprendre clairement qu’il pourra y avoir des attitudes, des comportements et des conduites qui ne sont pas tolérées, que nous devons refuser pour pouvoir vivre des festivités libres de sexisme (c’est-à-dire toute attitude discriminatoire).

-          En première instance, il s’agit de dialoguer, d’informer l’agresseur qu’il doit sortir de la fête et lui en expliquer les raisons. Nous devons faire attention à nos agissements car nous ne souhaitons pas de confrontations directes. En première ligne, il doit y avoir des personnes[12] qui savent comment gérer ce genre de situations de manière responsable et cohérente, en utilisant en priorité la non-violence. Nous avons à être conscient.e.s à tout moment de nos propres compétences et limites, car il ne s’agit pas d’arriver à une situation encore plus violente que l’initiale.

-          Il est indispensable de ne jamais mentionner le nom de la personne agressée ni de la décrire, juste indiquer qu’un agresseur a été expulsé des lieux pour agression sexiste. Et faire attention au langage utilisé.

 

Matériel mis à disposition des personnes formées :

-          Feuillets à afficher

-          Charte

-          Manifeste

-        Feuilles à distribuer avec des ressources pour lutter contre les violences machistes .

 

Nota Bene : les 22 et 23 octobre j’assisterai au 1er congrès international pour l’éradication des violences machistes, qui aura lieu à Barcelone, organisé par le Gouvernement de Catalogne.

 


[2] En Catalogne, chaque village, chaque quartier a une fête patronale, appelée « Festa Major » auxquelles tout le monde participe, toutes générations confondues.

[4] La Genralitat de Catalunya (le gouvernement autonome de Catalogne), a un « Institut Català de la Dona (ICD) » (Institut Catalan de la Femme) et de nombreuses municipalités ont des Conseils Municipaux « Féminisme et LGBTI ».

[6] Qui se trouve facilement sur Internet en espagnol ou en catalan.

[7] Si vous êtes intéressées, merci de me contacter par mail contact@therapie-feministe-elisende.com

[8] Ce texte ne le précise pas, mais maintenant ces lieux sont très visibles avec des visuels de ronds violets, appelés « puntos violetas ».

[9] Reconnaissables parce qu’elles portent un élément distinctif violet, généralement un brassard ou un gilet.

[10] Situation où quelqu’un d’autre alerte au sujet de l’agression.

[11] Ce manifeste est préparé au préalable : il reprend les éléments d’une charte distribuée et affichée avant et pendant les fêtes.

[12] Il s’agit généralement de 5 personnes au moins, formées à l’auto-défense féministe. 

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